Le poids de l'héritage vidéoludique
Irem Collection Volume 3 s’inscrit dans une démarche patrimoniale visant à réhabiliter un pan souvent négligé de l’histoire vidéoludique : celui des jeux d’arcade exigeants, inventifs, parfois oubliés malgré leur apport fondamental à l’évolution du genre. Le studio Irem, mondialement connu pour R-Type, a été bien plus qu’un simple faiseur de shoot’em ups ; il a incarné une certaine vision du jeu vidéo, où rigueur du gameplay, identité visuelle forte et courbes de difficulté impitoyables formaient un triptyque indissociable. Ce troisième volume propose une sélection atypique avec Mr. Heli, Dragon Breed et Mystic Riders, trois titres qui, s’ils n’ont pas connu la postérité de leur grand frère galactique, ont chacun marqué à leur manière les bornes d’arcade de la fin des années 80 et du début des années 90. Loin de s’adresser à un public mainstream, cette collection assume son statut de capsule temporelle, aussi précieuse qu’ardu à appréhender. C’est précisément ce qui fait sa force – et aussi sa limite.
Trois jeux, trois propositions singulières
L’un des grands mérites de cette collection réside dans la diversité des expériences proposées. Mr. Heli no Daibouken, connu aussi sous le nom de Battle Chopper, est sans doute le plus atypique du lot. Mêlant shoot’em up, plateforme et exploration, ce petit hélicoptère anthropomorphe traverse des niveaux labyrinthiques truffés d’ennemis vicieux et de pièges sournois. Sa maniabilité un peu lourde surprend d’abord, mais elle s’intègre parfaitement au rythme du jeu, basé sur la précision et la gestion du rythme.
Dragon Breed, quant à lui, est un shoot’em up horizontal au gameplay très original : le joueur incarne un prince juché sur un immense dragon qui agit à la fois comme arme et comme bouclier mouvant. Cette mécanique permet des stratégies défensives inédites, en plus d’une gestion de l’espace qui tranche avec les codes classiques du genre. Le visuel, mélange de dark fantasy et de mécaniques steampunk, est toujours impressionnant, même des décennies plus tard.
Enfin, Mystic Riders propose une approche plus légère et plus accessible – en apparence seulement. Inspiré visuellement de titres comme Parodius ou Cotton, il n’en demeure pas moins un véritable défi. Le ton est plus fantasque, mais les niveaux demandent des réflexes affûtés et une lecture permanente de l’écran. Ce jeu clôt la trilogie sur une note visuellement chatoyante mais mécaniquement redoutable. Ensemble, ces trois titres forment une proposition cohérente dans la philosophie d’Irem, tout en offrant des variations de gameplay suffisamment marquées pour éviter la redondance. Sur le plan technique, les portages sont exemplaires. L’émulation est fluide, les options de confort bien pensées : on retrouve les désormais classiques sauvegardes rapides, rembobinage, choix des filtres CRT, ou ajustement des rapports d’image. Le tout fonctionne sans accroc, avec une latence quasi inexistante, ce qui est crucial pour des titres aussi précis et exigeants. Les puristes seront ravis de constater que l’expérience d’origine est respectée dans les moindres détails.
Cependant, cette rigueur se fait au détriment de l’enrobage éditorial. L’interface est fonctionnelle mais austère. Aucun document historique, pas d’artbook numérique, aucune interview ou anecdote sur la conception des jeux : l’ensemble manque cruellement de mise en contexte. On est face à une réédition brute, presque clinique, qui s’adresse à un public déjà initié. Pour ceux qui découvriraient Irem à travers cette collection, l’expérience risque d’être froide, voire déconcertante. Une simple galerie d’images, une chronologie du studio, ou même quelques lignes sur l’impact de chaque jeu auraient suffi à enrichir l’approche.
Autre point regrettable : l’absence de localisation ou de notes explicatives. Bien que ces jeux soient essentiellement axés sur l’action, certains éléments de menus ou de textes restent en japonais ou en anglais, ce qui alourdit encore l’accès pour un public non bilingue. Dans une optique de préservation culturelle, cet aspect aurait mérité plus d’attention.
Une difficulté d’un autre temps, entre défi et frustration
Le socle commun à ces trois jeux, au-delà de leur identité visuelle et de leur gameplay affiné, reste leur difficulté extrême. Chaque partie est une mise à l’épreuve des réflexes, de la mémoire et de la résilience. L’apprentissage par l’échec est ici la norme. Il faut mourir, souvent, pour apprendre. Cette philosophie de game design peut sembler archaïque à une époque où la plupart des jeux misent sur la progression fluide, voire assistée.
Mais dans ce cadre, cette difficulté fait sens. Elle oblige à une forme d’humilité face au jeu. Chaque ennemi, chaque tir, chaque déplacement compte. La satisfaction de maîtriser un niveau ou un boss récalcitrant est réelle, presque viscérale. C’est là que la collection prend toute sa valeur pour les joueurs prêts à s’impliquer pleinement. Toutefois, pour un public plus large, l’expérience peut rapidement virer à la frustration. Le rembobinage est une béquille utile, mais il ne compense pas l’absence de tutoriels ou de modes d’introduction plus doux.
Cette fidélité à l’expérience d’origine est à double tranchant. Elle garantit l’authenticité, mais ferme la porte à ceux qui n’ont pas grandi dans les salles enfumées de l’arcade. La collection aurait pu proposer des modes de difficulté alternatifs ou des pistes de lecture plus pédagogiques, sans trahir l’œuvre initiale. En l’état, elle s’adresse avant tout à un public de vétérans ou de passionnés du rétro.
Galerie Photos
Vidéo
Les plus Les moins
Points positifs
- Trois jeux rares, aux identités fortes et complémentaires
- Gameplay exigeant mais cohérent et gratifiant
- Portage technique impeccable, options de confort bien pensées
- Respect absolu de l’expérience d’origine
- Direction artistique marquée et toujours lisible
Points négatifs
- Interface minimaliste, dépourvue de contenu historique ou pédagogique
- Difficulté d’accès pour les néophytes
- Aucun effort de contextualisation ou de mise en valeur du patrimoine
- Manque de traductions/localisations de certains éléments
- Zéro contenu bonus pour enrichir l’expérience
En conclusion
Irem Collection Volume 3 est un objet précieux pour ceux qui savent ce qu’ils viennent y chercher : une tranche d’histoire du jeu vidéo, dans ce qu’elle a de plus exigeant, de plus radical, et de plus inventif. C’est une compilation pensée pour les passionnés, les collectionneurs, ou les historiens du médium. Elle assume pleinement son héritage, avec des portages de qualité, mais sans chercher à séduire ou accompagner un nouveau public.
Ce choix éditorial, à la fois respectable et frustrant, limite l’impact que pourrait avoir une telle collection. Elle aurait pu servir de pont entre générations de joueurs ; elle reste une niche, admirable dans sa fidélité, mais inaccessible pour beaucoup. Cela n’empêche pas les jeux qu’elle contient de mériter leur place au panthéon du shoot’em up. Mais il faut du temps, de la patience, et une solide tolérance à l’échec pour en saisir toute la richesse.
Testé par Anthony TAELMAN (Tùni)
"Joueur depuis ma plus tendre enfance, j'ai pris la première claque de ma vie en 1996 avec Resident Evil. Créateur en 2012 de CN Play, et toujours à sa tête, mon expérience de nombreuses années dans le domaine du jeu vidéo est maintenant au service de ma talentueuse équipe."