Une offrande aux esprits
Ghost of Yōtei est de ces jeux qui ne se contentent pas de divertir. Il marque, il imprègne. C’est une œuvre qui ne cherche pas à impressionner par la surenchère ou le clinquant, mais qui s’installe lentement, durablement, comme un parfum discret qui ne quitte plus les vêtements. Il s'agit d’un jeu d’action-aventure en monde ouvert, situé dans un Japon féodal fictif dominé par le mont Yōtei, un volcan endormi au cœur d’une île rongée par les esprits et les malédictions. Mais plus qu’un cadre somptueux, c’est un univers habité, cohérent et profondément spirituel qui s’offre ici. Chaque détail, chaque bruit, chaque regard est une pierre de plus dans la construction d’une atmosphère à couper le souffle. Au centre de cette épopée, une héroïne inattendue se dresse : Atsu, prêtresse-guerrière, fine lame et gardienne d’un équilibre brisé. Sa présence transcende le récit, offrant au joueur une figure à la fois forte, vulnérable, et terriblement humaine.
Entre beauté sauvage et menace silencieuse
Ce qui frappe en premier dans Ghost of Yōtei, c’est la puissance évocatrice de son monde ouvert. Loin des cartes saturées d’icônes ou des univers artificiels qui cochent toutes les cases du cahier des charges marketing, celui-ci respire la cohérence, le respect de la nature et le sens du mystère. L’île de Yōtei se découvre avec lenteur. On y avance à pied ou à cheval, en prenant le temps d’observer les torii rouges moussus, les lanternes de pierre éteintes par les tempêtes, les haïkus gravés dans le bois des sanctuaires. Ce n’est pas un terrain de jeu, c’est une terre sacrée. Les saisons changent, les pluies lavent les traces de sang, les brumes cachent les souvenirs.
Mais cette beauté cache une corruption sourde. Des fissures apparaissent dans les temples, les rizières sont abandonnées, les habitants murmurent des prières les yeux vides. Des entités invisibles rôdent. L’horreur n’est jamais frontale, elle suinte. Les yōkai, ces esprits issus du folklore japonais, ne sont pas toujours hostiles, mais ils sont toujours dérangeants. Certains aident, d'autres observent, et quelques-uns tuent. On ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. L’exploration devient un jeu de tension permanente, où chaque recoin peut cacher une relique sacrée ou une malédiction vivante.
C’est dans ce monde que Atsu évolue. Issue d’un clan de mediums disparus, elle n’est ni élue, ni surhumaine. Elle est une survivante, une combattante spirituelle qui porte le poids d’une guerre invisible entre le monde des vivants et celui des morts. Elle ne conquiert pas le monde : elle tente de le comprendre, de l’apaiser, de le sauver. Et c’est ce positionnement narratif atypique qui rend le jeu si fascinant. Contrairement à de nombreux jeux où l’héroïne est un archétype de force ou de vengeance, Atsu est une figure bien plus complexe. Elle ne cherche pas la gloire, elle fuit même parfois le conflit. Mais elle se bat, car elle n’a pas le choix. Formée aux arts du sabre, mais aussi aux rites spirituels les plus anciens, elle incarne ce fragile équilibre entre le corps et l’âme, entre la violence nécessaire et la paix recherchée. C’est une femme marquée par les pertes, celle de son clan, de son frère, de ses croyances, mais qui ne renonce jamais à chercher du sens. Sa relation au joueur est unique : on n’incarne pas Atsu comme on contrôle un personnage d’action, on l’accompagne, on apprend avec elle, on doute avec elle.
Son gameplay reflète cette dualité. En combat, elle alterne entre la précision chirurgicale de ses attaques et des capacités spirituelles qui permettent d’invoquer, purifier ou manipuler les ennemis. Le système de combat n’est jamais gratuit : chaque affrontement a un poids narratif. Les coups ne sont pas stylisés, ils sont douloureux, lents, tendus. On sent le poids du katana, la peur de rater une parade, la fatigue après une série de duels. Atsu peut aussi prier, méditer, interagir avec les esprits dans des séquences contemplatives et souvent bouleversantes. Ces moments suspendus, où l’on déchiffre des souvenirs, nettoie un sanctuaire, ou dialogue avec une âme perdue, sont parmi les plus puissants du jeu.
Mais ce n’est pas une sainte. Elle doute, elle échoue, elle se met en colère. Elle blesse des innocents, parfois sans le vouloir. Elle remet en question sa foi. Et c’est justement cette imperfection qui la rend si captivante. Rarement un jeu vidéo aura offert un personnage féminin aussi nuancé, aussi profondément écrit, sans jamais tomber dans la caricature ou le fan service.
Un chant ancien, une mémoire en ruine
Ghost of Yōtei prend son temps. Il le revendique. Il ne court pas, il médite. Il propose une narration en strates, où les éléments se dévoilent à mesure que le joueur s’ouvre au monde. Il ne s’agit pas d’enchaîner les missions, mais de reconstruire, morceau par morceau, le puzzle d’une histoire ancienne, déformée par les siècles, les esprits et les hommes. Le jeu utilise le silence comme un outil narratif. Il ose laisser l’écran vide de mots pendant de longues minutes. Il invite à la lenteur, à la contemplation, mais aussi à la réflexion.
Les personnages secondaires sont tous mémorables. Un vieux moine brisé par ses erreurs, une enfant muette qui voit les morts, un ancien rival rongé par la culpabilité. Chacun vient enrichir le récit, offrir une autre lecture du monde, une autre facette du conflit. Mais c’est surtout dans les relations d’Atsu que le jeu trouve son cœur battant. Sa complicité avec Shigeo, un corbeau messager, ses échanges ambigus avec un esprit renard, sa confrontation finale avec l’ombre de sa mère : autant de moments qui dépassent le simple scénario pour toucher à l’universel.
Techniquement, le jeu est d’une stabilité impressionnante. Pas de bugs notables, des animations fluides, une bande-son magistrale signée par un compositeur japonais discret mais brillant. La musique n’accompagne pas, elle précède parfois, elle surprend, elle coupe le souffle dans les moments clés. Les bruitages naturels : craquement du bois, souffle du vent, ruissellement de l’eau, complètent cette immersion totale. On n’a plus l’impression de jouer, mais de marcher dans un rêve.
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Les plus Les moins
Points positifs
- Une direction artistique somptueuse et cohérente
- Un monde ouvert inspiré, organique, et chargé de symbolisme
- Atsu, héroïne exceptionnelle, subtile, puissante et humaine
- Un gameplay mêlant maîtrise du sabre et rituels spirituels
- Ambiance sonore immersive et bande originale marquante
Points négatifs
- Certaines mécaniques de quête déjà vues ailleurs
- Rythme volontairement lent qui pourra rebuter les amateurs de sensations immédiates
- Courbe de difficulté parfois inégale dans les affrontements surnaturels
- Un monde si riche qu’il aurait mérité davantage d’interactions sociales
En conclusion
Ghost of Yōtei est un jeu rare. De ceux qui laissent une trace, même longtemps après avoir éteint la console. Il propose une vision, une voix, une façon de raconter qui n’appartient qu’à lui. Il ose. Il ralentit. Il contemple. Il offre un monde vaste mais jamais vide, une héroïne forte sans être idéalisée, une histoire profonde sans être bavarde. Il s’éloigne volontairement des conventions pour mieux nous ramener à l’essentiel : qu’est-ce qu’un lien ? une mémoire ? un sacrifice ?
Grâce à Atsu, figure centrale et inoubliable, le jeu trouve son âme. Ce n’est pas seulement son aventure. C’est la nôtre, à travers elle. Ghost of Yōtei ne cherche pas à plaire à tout le monde, et c’est ce qui fait sa grandeur. Il se contente d’être sincère. Et dans un médium saturé de bruits, d’ego et de formules recyclées, cela ressemble presque à un acte de rébellion.
Testé par Anthony TAELMAN (Tùni)
"Joueur depuis ma plus tendre enfance, j'ai pris la première claque de ma vie en 1996 avec Resident Evil. Créateur en 2012 de CN Play, et toujours à sa tête, mon expérience de nombreuses années dans le domaine du jeu vidéo est maintenant au service de ma talentueuse équipe."