Une fable nordique moderne aux allures de tragédie

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Dans un paysage vidéoludique saturé de suites et de remakes, Eriksholm: The Stolen Dream se distingue comme une œuvre à part. Ce jeu d’aventure narratif, à mi-chemin entre le puzzle et l’infiltration, mise tout sur l’émotion, l’ambiance et l’attention au détail. Il plonge le joueur dans une version fictive d’une ville scandinave du début du XXᵉ siècle, rongée par une crise sociale et médicale. À travers le regard d’enfants livrés à eux-mêmes, le jeu explore des thèmes rarement abordés avec autant de nuance dans ce format : la répression étatique, la maladie, la perte, la solidarité des classes populaires. D’entrée, le ton est grave, le rythme est lent mais tendu, et la direction artistique impose une identité visuelle forte, sobrement mélancolique. Pas de surenchère d’action ici, mais une narration poignante portée par une esthétique cinématographique étonnamment aboutie pour un studio indépendant.

Un gameplay méthodique, taillé pour la tension

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Le cœur du jeu repose sur une série de niveaux où chaque situation est conçue comme un petit casse-tête à la structure fermée. Les mécaniques sont simples : se cacher, observer, distraire, se faufiler. Et pourtant, Eriksholm parvient à renouveler sa formule grâce à une progression intelligente et une mise en scène subtile. Le joueur incarne d’abord Hanna, une enfant ordinaire, sans superpouvoirs ni gadgets futuristes. Tout est question d’anticipation, de lecture de l’environnement, et d’exécution discrète. À mesure que l’aventure progresse, de nouveaux personnages jouables rejoignent la dynamique, chacun apportant des compétences complémentaires. Là où Hanna excelle dans la discrétion, Sebastian peut interagir physiquement avec les ennemis, tandis qu’Alva apporte une mobilité verticale ou aquatique. Le jeu devient alors une chorégraphie où chaque mouvement compte. Pas de place pour l’improvisation violente ou le chaos contrôlé à la manière d’un Dishonored : ici, la stratégie prévaut. Chaque mission a une solution optimale, ce qui peut frustrer les amateurs de liberté, mais ravira ceux qui apprécient la précision des jeux d’horlogerie. Le scénario d’Eriksholm ne cherche pas à réinventer la roue, mais il excelle dans sa manière de raconter. L’intrigue se concentre sur une fratrie séparée par la brutalité d’un régime autoritaire, et sur la quête d’Hanna pour comprendre ce qui est arrivé à son frère. Ce point de départ simple ouvre la voie à une exploration sensible des injustices systémiques : détentions arbitraires, mensonges d’État, propagande, abandon des plus vulnérables. La ville d’Eriksholm elle-même devient un personnage à part entière, avec ses affiches de propagande, ses habitants méfiants ou complices, et ses murmures de révolte étouffée. Les dialogues, jamais trop bavards, portent une justesse qui évite le pathos gratuit. L’émotion passe autant par les silences que par les mots. La direction artistique appuie ce ton intimiste : une lumière douce, une architecture rétro-industrielle, des décors qui racontent toujours quelque chose sans avoir besoin de cinématiques à rallonge. En cela, le jeu rappelle plus les intentions d’un Inside ou d’un This War of Mine que les standards AAA. Il laisse de la place à l’interprétation, au doute, au sentiment de perte.

Technique discrète, mais réalisation ambitieuse

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Visuellement, Eriksholm affiche une maîtrise remarquable pour un projet indépendant. Sans chercher le photoréalisme à outrance, le jeu opte pour une stylisation réaliste qui combine intelligemment des outils modernes – comme la technologie MetaHuman pour les visages – avec une direction artistique minimaliste. Chaque plan semble pensé comme un tableau : la composition, la lumière, les mouvements de caméra, tout contribue à renforcer l'immersion. Les animations faciales, bien que rares, sont convaincantes et portent une émotion authentique. Le sound design, quant à lui, joue la carte de la retenue. Les musiques n’interviennent qu’aux moments clés, laissant place à des ambiances sonores feutrées – bruits de pas, murmures, échos de sirènes – qui instaurent une tension constante. D’un point de vue technique, le jeu reste fluide, propre et stable, même sur des configurations modestes. Aucun bug majeur ne vient perturber l’expérience, preuve d’un soin inhabituel à ce niveau de production. Même si la structure linéaire limite les possibilités d’exploration, elle permet une narration cadrée, sans compromis de rythme ni de cohérence.

Galerie Photos

Vidéo

Les plus Les moins

Points positifs

  • Direction artistique sobre mais marquante, au service de l’ambiance
  • Gameplay d’infiltration précis, cohérent avec la narration
  • Écriture juste, émotionnelle sans être forcée
  • Thématiques adultes traitées avec respect et finesse
  • Réalisation technique propre, fluide et bien optimisée

Points négatifs

  • Structure très linéaire, peu de place à l’expérimentation
  • Certaines mécaniques peuvent sembler rigides face à l’offre actuelle
  • Manque de cinématiques ou de moments clés spectaculaires pour ponctuer l’aventure

En conclusion

9
Eriksholm: The Stolen Dream est une œuvre maîtrisée, exigeante dans son gameplay, humble dans ses ambitions, mais puissante dans ce qu’elle fait ressentir. Ce n’est pas un jeu à la recherche de l’effet waouh immédiat. Il ne cherche ni à divertir à tout prix, ni à séduire par du spectaculaire. Il raconte une histoire humaine, à hauteur d’enfant, avec des moyens sobres mais une sincérité désarmante. Chaque décision de game design, chaque ligne de dialogue, chaque morceau d’architecture sert un propos global sur la perte, la répression, et la force du lien. C’est un jeu qui ne s’oublie pas facilement. Il ne plaira pas à tout le monde, notamment aux amateurs d’action libre ou de systèmes ouverts. Mais pour ceux qui apprécient les récits forts, les mécaniques exigeantes et la narration par le détail, c’est une proposition rare et précieuse.

Testé par Anthony TAELMAN (Tùni)

Tùni
"Joueur depuis ma plus tendre enfance, j'ai pris la première claque de ma vie en 1996 avec Resident Evil. Créateur en 2012 de CN Play, et toujours à sa tête, mon expérience de nombreuses années dans le domaine du jeu vidéo est maintenant au service de ma talentueuse équipe."
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