L’Enfer change d’époque, pas de visage
DOOM: The Dark Ages n’est pas seulement un nouvel épisode dans la saga du Doom Slayer — c’est un acte de foi. Un pied-de-nez au confort des suites prévisibles. Là où tant de franchises s’étiolent à force de recyclage ou de nostalgie molle, id Software prend tout le monde à contre-pied. Et au lieu d’un simple “DOOM 3” version Eternal+, on découvre une vision radicale, audacieuse, viscérale du Moyen Âge, revue et corrigée à la sauce métal, plasma et hémoglobine. Le pari est osé : transposer un FPS ultramoderne dans un monde de catapultes, de dragons démoniaques et d’armures rouillées, tout en conservant la nervosité, l'excès et la brutalité caractéristique de la franchise. Le résultat n’est pas seulement à la hauteur. Il explose toutes les attentes. Ce jeu n’adapte pas DOOM au Moyen Âge — il plie le Moyen Âge à la logique infernale de DOOM.
Un Moyen Âge infernal et sublime
Le premier choc est visuel. DOOM: The Dark Ages ne se contente pas de changer de décor : il change de monde. Oubliez les installations spatiales, les bases martiennes et les cités futuristes éventrées. Ici, tout pue la pierre brûlée, la chair putréfiée, le fer noirci. L’univers évoque un mélange de cauchemar médiéval, de roman d’heroic fantasy dégénéré et d’iconographie religieuse en roue libre. C’est sale, baroque, viscéral. On croirait voir un trip halluciné entre les visions de Jérôme Bosch, l’univers de Berserk et l’esthétique heavy metal la plus extrême.
Le level design épouse cette ambiance : vastes cathédrales aux plafonds effondrés, ruines cyclopéennes rongées par les racines du mal, champs de bataille infestés de cadavres fumants. Chaque environnement raconte un massacre ancien, chaque pierre semble avoir hurlé. L’immersion est totale grâce à un soin du détail quasi maniaque : les textures, la lumière vacillante des torches, les grognements lointains... tout concourt à faire de ce monde un purgatoire cohérent, habité et vivant — dans le pire sens du terme.
Mais ce n’est pas qu’un bel enrobage. Le nouveau bestiaire, lui aussi, s’inscrit pleinement dans cette mutation esthétique. Les démons semblent issus de contes interdits : chevaliers damnés, sorciers pourrissants, chimères à têtes multiples, golems de chair armés de catapultes organiques. Ce bestiaire, varié et cohérent, alimente l’identité propre du jeu et renforce l’impression de découvrir une nouvelle ère de DOOM, sans jamais trahir l’héritage visuel ni l’identité sonore de la série. Si The Dark Ages impressionne par sa direction artistique, il brille encore plus par sa jouabilité. Le cœur du gameplay de DOOM est préservé : vitesse, fluidité, agressivité. On saute, on dash, on démonte. Mais au lieu de simplement reprendre la recette d’Eternal, le jeu l’adapte intelligemment à son nouveau contexte. L’arsenal évolue : adieu certaines armes classiques, bonjour l’épée runique — lourde, puissante, jouissive. Bonjour le bouclier-scie qui ricoche sur les crânes ennemis. Bonjour l’arbalète à carreaux explosifs, parfaite pour planter des démons au mur comme des trophées vivants.
Chaque arme a du poids, du feedback, une utilité claire. Et leur intégration dans les combats ne relève pas du gadget : il faut jongler entre elles pour survivre. Les ennemis sont plus résistants, plus malins, et souvent mieux organisés. Certains combats prennent des allures de puzzles en temps réel, où l’on doit constamment s’adapter. Le système de Glory Kill, toujours présent, ne lasse pas — surtout grâce à des animations renouvelées et un sens du tempo qui flirte avec la perfection. Tout est calibré au millimètre.
Autre nouveauté majeure : les montures démoniaques. Un élément qui aurait pu paraître absurde dans un DOOM classique mais qui, ici, s’intègre parfaitement à la logique épique et barbare du jeu. On peut désormais chevaucher un wyverne enflammée pour des séquences de combat aérien d’une rare intensité, ou écraser des hordes de démons à dos de colosse infernal. Ces séquences, loin d’être anecdotiques, dynamisent le rythme et enrichissent l’expérience. Elles ajoutent un souffle épique sans jamais diluer la violence.
Une mythologie étoffée, un enfer plus profond
L’autre surprise du jeu vient de son ambition narrative. Là où les précédents DOOM préféraient suggérer, The Dark Ages assume une narration plus construite, sans jamais verser dans la logorrhée inutile. Le jeu développe une véritable mythologie. Il raconte l’ascension du Doom Slayer en tant que “Chevalier de l’Abîme”, un mythe vivant dans un monde au bord de la damnation. Sans cutscenes interminables, sans dialogues pesants, l’univers s’enrichit par le détail : fresques animées, manuscrits à déchiffrer, murmures démoniaques, rituels oubliés.
Et surtout, cette narration ne ralentit jamais le jeu. Elle le renforce. Elle donne du poids à l’action. Quand le joueur affronte une bête millénaire dont l’histoire a été subtilement distillée en amont, le combat devient plus qu’un duel sanglant : c’est une vengeance cosmique. Ce contexte narratif, couplé à une mise en scène sobre mais spectaculaire, donne au Doom Slayer une dimension quasi mythologique, presque christique, qui tranche avec son mutisme bestial mais complète parfaitement sa légende.
Même la musique accompagne cette montée en puissance dramatique. Toujours signée par des compositeurs inspirés, la bande-son fusionne guitares infernales, chœurs liturgiques distordus, percussions tribales et nappes synthétiques. C’est un mur de son qui cogne, qui gronde, qui transcende l’action. Le mixage sonore, d’une richesse rare, transforme chaque affrontement en opéra barbare.
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Les plus Les moins
Points positifs
- Direction artistique monumentale, unique et ultra-cohérente
- Refonte complète du bestiaire, varié et mémorable
- Armes inédites, puissantes, et parfaitement intégrées
- Gameplay nerveux, stratégique, toujours jouissif
- Level design audacieux, organique et stimulant
Points négatifs
- Quelques pics de difficulté brutaux sans avertissement
- Certains boss manquent d’originalité dans leur design d’attaque
- IA ennemie parfois rigide dans les espaces fermés
En conclusion
DOOM: The Dark Ages n’est pas seulement un excellent FPS. C’est un manifeste. Une démonstration éclatante qu’un studio peut réinventer une franchise culte sans la trahir, en prenant des risques et en changeant les codes. C’est un jeu qui ose — esthétiquement, mécaniquement, narrativement. Il ne cherche pas à plaire à tout le monde, mais à frapper juste, fort, et durablement.
En plongeant le Doom Slayer dans les entrailles d’un Moyen Âge cauchemardesque, le jeu ne fait pas qu’offrir une nouvelle peau à la série. Il lui donne une profondeur inédite, une identité plus sombre, plus mythologique, presque biblique. C’est une œuvre furieuse, violente, mais aussi visionnaire, qui prouve que la brutalité peut rimer avec exigence, que le sang peut couler au service d’un univers riche et cohérent.
Testé par Marine Brémond (Beatja)
"Passionnée de rétrogaming, je navigue entre la Mega Drive, la Dreamcast et la PlayStation première du nom tout en me préparant à explorer l'univers Xbox. Passionnée d'illustration et de dessins, j'y passe le plus clair de mon temps."