Une lente aventure contre l’efficacité moderne

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Baby Steps n’est pas un jeu comme les autres. Là où la majorité des productions vidéoludiques misent sur la fluidité, la rapidité et la gratification immédiate, ce titre prend le contre-pied absolu. Développé par Bennett Foddy (créateur de QWOP et Getting Over It) et Gabe Cuzzillo (Ape Out), le jeu repose sur une idée radicale : faire d’un simple acte – marcher – une épreuve. À première vue, Baby Steps semble être une blague prolongée, un concept absurde destiné à faire rire par son absurdité. Mais à mesure que l’on avance, on découvre une expérience qui pousse à la réflexion, sur la patience, la persévérance et notre rapport au progrès. C’est un jeu qui prend le temps de ne rien faire rapidement, et c’est précisément ce qui le rend fascinant.

Un gameplay volontairement bancal et profondément humain

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Le système de jeu repose sur une mécanique à la fois simple et terriblement frustrante : chaque jambe du protagoniste est contrôlée indépendamment, et la moindre erreur de timing envoie le personnage au sol. Cette maladresse constante n’est pas un défaut, c’est le cœur même de l’expérience. Baby Steps transforme la marche en un acte héroïque. Chaque pas devient un accomplissement, chaque pente gravie une victoire. Loin des réflexes automatisés des jeux d’action, ici tout repose sur la lenteur, la concentration et la répétition. Le joueur doit accepter l’échec non pas comme une punition, mais comme une partie intégrante du processus d’apprentissage. Le jeu ne cherche jamais à rendre la progression confortable ; il célèbre au contraire la difficulté brute et la maladresse. Ce qui frappe, c’est la précision du moteur physique. Le corps du personnage réagit avec un réalisme presque comique, donnant lieu à des chutes grotesques mais étrangement satisfaisantes. Le gameplay devient une sorte de chorégraphie chaotique où le ridicule côtoie le triomphe. Et c’est dans cette absurdité que Baby Steps trouve son authenticité : il parodie la quête de maîtrise que tout joueur recherche, tout en la transformant en une lente ascension de soi. Sous son apparente légèreté, Baby Steps raconte quelque chose de plus profond. Le héros, Nate, est un trentenaire désabusé, sans emploi ni but précis, qui se retrouve transporté dans une montagne qu’il doit gravir. Ce postulat, aussi absurde qu’il soit, devient rapidement une métaphore. Chaque pas que Nate fait vers le sommet est aussi un pas vers une forme de rédemption personnelle. Le jeu prend un ton comique, moqueur, voire auto-dérisoire, mais derrière l’humour se cache une réflexion sur la paresse, la stagnation et la difficulté à avancer dans la vie adulte. Les dialogues, souvent absurdes et pleins d’autodérision, participent à cette ambiance. Le ton rappelle parfois les échanges cyniques d’un film indépendant. L’écriture ne cherche jamais la grandiloquence : elle reste terre à terre, crue, et souvent hilarante dans sa lucidité. Le jeu s’amuse à briser le quatrième mur, à commenter ses propres limites et à se moquer des attentes du joueur. Cette légèreté narrative renforce paradoxalement l’attachement qu’on ressent pour Nate. On ne l’aime pas parce qu’il réussit, mais parce qu’il échoue de manière touchante et authentique. Baby Steps, derrière son humour absurde, réussit à parler d’un sujet universel : la difficulté d’avancer quand tout semble aller trop vite autour de soi.

Une direction artistique simple mais pleine de personnalité

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Visuellement, Baby Steps adopte une esthétique volontairement sobre. Les environnements montagneux, baignés d’une lumière douce et pastel, rappellent parfois un monde de rêve flou, à mi-chemin entre cartoon et réalisme. Les textures sont épurées, presque naïves, mais cette simplicité sert parfaitement le propos. Le joueur n’est jamais distrait par la beauté du décor ; tout l’attention reste concentrée sur la marche, sur le corps maladroit du héros. Les animations sont un spectacle à elles seules. Chaque chute, chaque tentative avortée de pas est animée avec une précision grotesque, renforçant le côté comique du gameplay. Le son joue aussi un rôle clé : les bruits de pas glissants, les souffles essoufflés et les remarques sarcastiques de Nate accompagnent l’expérience avec humour. La musique, rare et discrète, surgit à des moments clés pour souligner la solitude du personnage ou la beauté inattendue d’un paysage. Ce mélange de maladresse visuelle et d’intelligence sonore crée une ambiance étrange, presque méditative. C’est un monde où rien ne presse, où chaque seconde semble suspendue, et où l’échec n’est plus un obstacle mais une expérience.

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Les plus Les moins

Points positifs

  • Concept unique et courageux, centré sur la lenteur et l’effort
  • Gameplay physique précis et cohérent avec le propos
  • Humour absurde et dialogues bien écrits
  • Réflexion sous-jacente sur l’échec, la motivation et la résilience
  • Direction artistique minimaliste mais pleine de charme

Points négatifs

  • Courbe d’apprentissage très raide et parfois décourageante
  • Lenteur excessive pouvant frustrer les joueurs impatients
  • Quelques passages trop répétitifs
  • Absence de variété dans les environnements après plusieurs heures
  • Une expérience qui repose trop sur un concept unique sans réelle évolution

En conclusion

8
Baby Steps ne plaira pas à tout le monde. Certains abandonneront après quelques minutes, irrités par la lenteur et la difficulté de la marche. D’autres, en revanche, y verront une œuvre originale et audacieuse, un anti-jeu qui ose aller à contre-courant de tout ce que l’industrie propose aujourd’hui. Ce n’est pas un jeu de vitesse ni de performance, mais un jeu d’apprentissage, de lâcher-prise et d’humilité. Il est rare qu’un jeu aussi minimaliste réussisse à provoquer autant de réactions. Baby Steps fait rire, énerve, intrigue, mais ne laisse jamais indifférent. Il s’agit d’une expérience qui force à reconsidérer ce qu’est la progression, non pas en termes de score ou de niveaux, mais en termes d’effort et de patience. En un sens, Baby Steps est une satire du jeu vidéo moderne, mais aussi un hommage à la beauté du mouvement humain, à sa maladresse et à sa persévérance.

Testé par Anthony TAELMAN (Tùni)

Tùni
"Joueur depuis ma plus tendre enfance, j'ai pris la première claque de ma vie en 1996 avec Resident Evil. Créateur en 2012 de CN Play, et toujours à sa tête, mon expérience de nombreuses années dans le domaine du jeu vidéo est maintenant au service de ma talentueuse équipe."
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